Amer…
Ce jeudi, Mozilla a enfin publié une déclaration claire et détaillée sur l’avenir de son système d’exploitation mobile, Firefox OS. Au revoir smartphones, bonjour objets connectés. Une entreprise qui met fin à un projet sans avenir et non rentable, quoi de plus naturel et même de plus sain. Sauf que dans notre cas, la société MoCo est une filiale à 100 % d’une fondation à but non lucratif censée défendre les mêmes intérêts (généraux) que la maison mère. Sauf que la fondation et la société sont chargées d’un projet de logiciel libre qui sous-entend implication d’une communauté de contributeurs extérieurs et processus de décision ouvert (sinon faites juste du code open source développé par une société commerciale dans le plus grand secret). Sauf que le projet Mozilla est constitué pour défendre des principes qui se concrétisent pour le principal par le développement de logiciels libres confié à une société soumise à l’impôt, mais qui défend ces mêmes principes fondateurs.
Aujourd’hui, la décision de Mozilla heurte dans le fond comme dans la forme l’ensemble de ces considérations.
Communication désastreuse
La communication de la réorientation du projet Firefox OS a été calamiteuse, voire inexistante – encore. La direction générale de Mozilla aurait voulu tuer le projet sans avoir l’air d’y toucher qu’elle n’aurait pas fait autrement. Le dévoilement du changement de stratégie de Mozilla est parti de la reprise d’une déclaration du chef d’un projet chez Mozilla récemment engagé . Par la suite, au cours du rassemblement d’un grand nombre de Mozilliens, bénévoles et employés, la diffusion des informations – que l’on ne peut qualifier de communication – s’est faite par ce même chef lors de conférences, dans des tweets ou par un court message de blog Mozilla. Devant la tempête médiatique déclenchée et les approximations, pour ne pas dire les fausses assertions, en titre même de nombreux articles dans le monde entier, la communication de Mozilla n’a pas repris le dossier en main pour rétablir la vérité ou pour au moins limiter les dégâts. On attend encore aujourd’hui la mise au point de Mozilla et la déclaration d’une des têtes de Mozilla pour éteindre l’incendie « Firefox OS est mort ».
Pourtant la déclaration fondamentale attendue en décembre arrive maintenant début février toujours de la plume d’employés subordonnés de Mozilla sur un forum interne et un blog secondaire. Cette annonce qui est stratégique devrait en toute logique émaner de la direction générale de Mozilla. Toute autre annonce diminue son autorité et l’impression que le projet à une direction claire, cohérente et ferme.
Chat échaudé craint l’eau froide
L’image de Mozilla sort durement touchée de cette épreuve. De l’extérieur, on ne retient que les abandons successifs de projets prometteurs ou ayant suscité de grands espoirs au-delà même du périmètre du projet. Comment faire confiance et engager du temps ou de l’argent dans des projets ou technologies qui peuvent être tués unilatéralement et sans crier gare du jour au lendemain ? Les futurs constructeurs d’objets connectés ne vont-ils pas avoir en tête le sort des constructeurs de smartphones qui avaient misé sur Firefox OS ? Les développeurs d’applications pour objets connectés vont-ils oublier leurs collègues ayant passé des heures sur des applications mobiles sans avenir au moment de choisir une technologie, d’acheter ces objets pour tester leur code et celui de l’OS, et d’investir de leur temps dans un projet à l’avenir à moyen terme incertain ? Aucun message de la communication de Mozilla n’est venu jusqu’ici redresser cette image durablement écornée.
Quelle gouvernance pour un projet libre ?
Pourtant, une autre atteinte à l’image de Mozilla et qui heurte fondamentalement ses principes constitutifs est celle du processus de décision. La communauté n’a pas été consultée sur ce revirement stratégique. Puisqu’il n’y avait plus de partenariats commerciaux en jeu ni de secret à protéger des yeux de la presse, la communauté aurait pu – aurait dû – être consultée – je ne parle pas de codécision.
Le mutisme de la direction générale de Mozilla et la solitude de la décision prise entre-soi dénote selon moi d’un grave problème de gouvernance du projet libre. Non seulement l’image du projet est abîmée rendant celui-ci moins attractif pour des nouveaux membres, mais les membres existants sont gravement lésés. Veut-on, là-haut, décourager les meilleures bonnes volontés à l’œuvre ?
Que dit-on à tous ces bénévoles s’étant passionnés pour ce projet passionnant ? Comment considère-t-on les heures passées à développer, communiquer ou essayer de convaincre pour les promesses véhiculées par ce projet ? Comment va-t-on les amener à se réinvestir dans un nouveau projet Mozilla tellement ils sont à cette heure dégoûtés ?
Comment traite-t-on ces bénévoles qui ont cru de bonne foi aux idéaux de base du projet et qui ont essayé de convertir le monde, à commencer par leurs amis et leur famille ? Quelle va être leur crédibilité maintenant ? Comment leur redonner l’entrain et la foi de défendre les produits et projets de Mozilla, et rétablir la confiance qu’ils avaient en la capacité de Mozilla à défendre les idéaux communs ?
Où sont passés nos idéaux ?
En effet, le projet Firefox OS était fondé sur de grands principes. Il était fondamental pour l’avenir du Web qui passe aujourd’hui par le smartphone et dont les principes sont mis à mal par les applications et les écosystèmes mobiles oligarchiques verrouillés. L’avenir du Web et celui de Mozilla ne passent-ils plus par le smartphone ? Aura-t-on assez de poids pour sauver les principes du Web ouvert sans OS pour smartphone ou abandonne-t-on ces principes définitivement perdus ? Comment connecte-t-on le prochain milliard d’internautes dans des pays en voie de développement ? On les laisse tomber ? On fait autrement ? Toutes ces questions n’ont pas été abordées par Mozilla et les contributeurs méritent qu’on leur fasse part de la vision stratégique de Mozilla maintenant qu’il s’est retiré du marché des OS mobiles.
Le pari de Mozilla sur les OS mobiles a raté. Mozilla s’est retiré, mais nous bénévoles restons avec beaucoup des questions… et beaucoup d’amertume.
Crédit photo : à Whistler par gasolin sur Twitter, juin 2015
MÀJ du 9 février : Modifications pour ne pas avoir l’air de lancer d’attaques ad hominem et clarification de détails pouvant porter à confusion.